La prévention des avalanches
Source de plaisir mais aussi de danger mortel, la neige est une matière instable, changeante, toujours en métamorphose; mieux vaut ne jamais lui tourner le dos.
En station de ski, l’enjeu est de taille pour les professionnels : comment protéger des milliers de skieurs de cette épée de Damoclès : l’avalanche, si prompte à emporter les vies.
Le manteau neigeux n’est malheureusement pas une morne étendue immobile. Sa composition pour commencer est loin d’être fixée une fois pour toute, ce serait trop facile ! Les chutes de neige s’accumulent au cours de la saison et se transforment sitôt touchées le sol, ces métamorphoses sont liées aux conditions météorologiques, au vent au refroidissement ou au réchauffement de l’air. Résultat : le manteau neigeux devient un manteau stratifié, comme un mille-feuilles composé de couches en relation avec chaque chute de l’hiver. Selon les caractéristiques de ces couches, le manteau gagne en stabilité ou à l’inverse devient instable, ce qui peut entraîner des avalanches ou du moins faciliter leur déclenchement.
Qu’est ce qu’une avalanche ?
Schématiquement, c’est une masse de neige plus ou moins importante qui dévale une pente plus ou moins longue, plus ou moins rapidement. Mais la réalité est bien plus complexe, on peut distinguer trois principaux types d’avalanche.
L’avalanche de poudreuse
C'est l’avalanche de neige récente, celle qui va se déclencher tout de suite ou presque après une chute de neige. La neige est dans cette configuration pulvérulente : elle a subi peu de transformations et sa masse volumique ne dépasse pas les 200kg/m3. Un skieur peut aisément la déclencher, même plusieurs jours après la chute. L’écoulement ressemble à un fluide dense ou un aérosol, sa vitesse est très élevée (jusqu’à 300 km/h) et provoque d’énormes dégâts. C'est une avalanche d’autant plus dangereuse que l’aspect poudreux ne donne pas l’impression de pouvoir se rompre et induit une fausse apparence de sécurité.
L’avalanche de plaque dure
Elle signe son départ en laissant une belle cassure visible parfois de très loin. Cette cassure se propage très vite. L’instabilité de ces plaques est due à la présence d’une sous couche fragile si bien que cet équilibre précaire est compromis par la moindre surcharge, même faible comme le poids d’un skieur.
L’avalanche de neige humide ou de fonte
Ces avalanches surviennent lors de réchauffements importants, la plupart du temps au printemps. La neige mouillée, gorgée d’eau a une masse volumique allant jusqu'à 500 kg/m3. La vitesse d’écoulement est faible, de 20 à 60 km/h; mais sa capacité à faire des dégâts est colossale, à cause de son important poids au m3. Les dépôts atteignent parfois plusieurs mètres d’épaisseur…
Voilà un tableau peu rassurant de ces monstres au sommeil léger sur lesquels il faut veiller et anticiper le réveil.
Un gros travail d’observation et d'anticipation
En France, 140 postes d’observations, situés entre 1500 et 2000 mètres d'altitude, sont tenus par des pisteurs. Ils fournissent deux fois par jour les informations liés au vent, sa vitesse, sa direction, l’épaisseur de la neige, sa qualité, la hauteur totale de neige. Des sondages du manteau neigeux sont effectués afin d’évaluer régulièrement sa stabilité. Des stations automatiques disposées entre 2000 et 3000 mètres relaient les informations en altitude. Neuf centres collectent ces données et élaborent des bulletins de prévisions du risque d’avalanche.
En station, c’est l’enjeu de l’hiver. Pour garantir chaque jour un ski sécurisé à des milliers de pratiquants, c’est un travail quotidien et sans relâche, les métamorphoses du manteau neigeux ne cessent jamais, si bien qu’un jour sur l’autre, rien n’est acquis.
Le PIDA (Plan d'intervention de déclenchement des avalanches) est défini par chaque station qui le dépose en préfecture. Le PIDA détermine toutes les pistes et tous les secteurs sur lesquels les divers artificiers vont intervenir, de façon manuelle, à ski, ou à l’aide de dispositifs automatiques. Chaque intervention se fera obligatoirement dans le cadre de ce PIDA, mis en place en 1975 par l’ANENA (association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches).
Chaque année, plus de 2500 pisteurs secouristes sont embauchés dans les stations françaises. Si tous ne participent pas directement à la prévention des avalanches, ils sont tous plus ou moins impliqués par un travail quotidien d’observation (voir notre reportage sur les pisteurs secouristes).
Prévenir l’avalanche : du bricolage aux méthodes modernes
A l’origine, les déclenchements des avalanches en station se déroulaient de façon assez archaïque de la manière suivante : Les pisteurs coupaient à ski les zones d’accumulation, en restant en amont bien sur de la zone sensible ; mais cette méthode dangereuse reste aléatoire. Si le manteau résiste au poids d’une personne à 8h du matin, deux heures plus tard, le battement d’aile d’un tétra pourra peut-être déclencher l’avalanche !
Le moyen le plus efficace est le déclenchement artificiel, à l’aide d’explosifs. Ce type de méthode permet de provoquer à volonté des coulées de faible importance et d’éviter ainsi un départ spontané de grande ampleur.
Des explosifs dans le sac à dos : la méthode de base
Une équipe de pisteurs artificiers, généralement en binôme, se rendent sur la zone à sécuriser et mettent à feu des bâtons d’explosifs, de la dynamite, posée directement sur la neige. Le déclenchement se fait à distance grâce une impulsion électrique ou à l’aide d’une mèche lente (un peu comme celle d’un pétard sauf que cette mèche est étanche). Cette très vieille méthode se fait de plus en plus rare, d’une part parce que la quantité d’explosif n’est pas toujours suffisante pour provoquer une coulée, d’autre part parce qu’elle constitue pour des raisons évidentes un danger pour les artificiers.
Le CATEX
Le catex est l’abréviation de « câble transporteur d’explosifs ». Il s’agit d’un téléski rudimentaire qui survole les zones à sécuriser. Le pisteur artificier accroche une charge sur le câble et achemine son explosif au dessus de la zone qu’il souhaite sécuriser. Il y a toujours le danger lié à la manipulation d’explosif mais au moins le professionnel ne se rend pas à ski sur un secteur instable, l’explosion se produira à une distance plus importante.
Le GAZEX
Le gazex (abréviation de gaz explosif) est le système le plus performant pour déclencher à distance des avalanches et aussi le moins dangereux puisqu’on peut agir depuis un bureau et tranquillement installé devant un ordinateur.
Le principe est assez simple. Il consiste à faire exploser à distance un mélange gazeux d’oxygène et de propane à l’intérieur d’un exploseur. Ces exploseurs fixés de façon pérenne sur les zones à risques sont de gros tuyaux courbes orientés vers le sol.
L’efficacité de l’explosion est supérieure à celle du Catex et provoque une onde de choc telle qu’elle entraîne le manteau neigeux directement visé mais aussi celui qui lui est adjacent.
Le propane et l’oxygène proviennent d’une petite centrale de gaz appelé un abri de Gazex que les pisteurs changent périodiquement.
L’avalex
Il s’agit encore d’un déclenchement à distance mais cette fois à l’aide de ballons remplis d’hydrogène et d’oxygène à partir d’une base au dessus de la zone à sécuriser. Ce procédé est efficace à condition qu’il n’y ait pas de vent.
Le tir manuel depuis le ciel
Il s’agit pour commencer de ce qu’on appelle dans le jargon du PIDA hélico. L’hélico survole les zones à sécuriser tandis qu’un artificier jette sa charge (attachée à une corde). Cette technique du tir manuel peut être également entreprise à bord d’une remontée mécanique, télésiège ou télécabine. Seul inconvénient, la précision du tir est aléatoire et seuls des artificiers connaissant parfaitement le domaine peuvent mener à bien ce genre de missions qui restent assez délicates.
L’avalancheur
L’avalancheur est ni plus ni moins un tir de canon sur les faces exposées aux risques d’avalanche. Dans les stations russes du Caucase, Tcheget près du Mont Elbrouz par exemple, ces tirs se font carrément au canon d’artillerie.
Chez nous, c’est un peu plus soft. Notre avalancheur est un grand tube en fibre de verre dans lequel l’artificier introduit une flèche dotée d’un mélange explosif. De l’azote sous pression propulse la flèche explosive avec une grande précision sur la pente qu’il faut déclencher.
Avalancheur, gazex, catex, avalex et tirs manuels sont autant de méthodes bien rodées en station pour prévenir les avalanches. Cependant la prévention des avalanches est aussi une affaire personnelle en s’entourant de précautions avant de sortir hors-piste.
La prévention et la gestion des risques
L’ENSA, école nationale de ski alpinisme, a déterminé cinq principes fondamentaux de la prévention :
1- s’informer du BRA (Bulletin régional d’avalanche) de météo France et consulter les professionnels sur site
2- Respecter les consignes officielles et officieuses des professionnels et des services des pistes
3- Posséder un équipement de base indispensable : pelle-arva et sonde et savoir s’en servir
4- Apprendre à reconnaître les différents types de neige et de manteau neigeux
5- Suivre une procédure rigoureuse de la gestion des risques
Ces cinq règles de base sont déjà des outils sérieux pour déterminer où partir, et s’il est judicieux ou non de partir.
Face à l’avalanche, les comportements sur le terrain peuvent notablement réduire le risque. La prévention des avalanches passe aussi par l'adoption des « dix règles d’or » énoncées par l’ENSA :
- Garder un intervalle entre chaque participant du groupe
- Déterminer un choix judicieux du parcours
- Organiser des zones de regroupement, à intervalles réguliers dans des zones protégées
- Conserver entre chaque skieur un contact visuel et auditif
- La vitesse et le mode de progression doivent être adaptés aux conditions et au niveau des moins bons
- Respecter la trace unique
- Eviter les zones critiques
- Ne jamais s’engager au delà d’une rupture de pente sans marquer un arrêt afin d’observer et d’analyser la zone inférieure
- Ne jamais skier à l’amont ou l’aval d’autres skieurs
- Dès que des signes d’alerte se manifestent, adopter des précautions particulières
Les moyens d’aide à la décision : partir ou non?
Pour les pratiquants, il existe un certain nombre de méthodes qui peuvent être un indice fort pour décider du départ en hors piste ou non.
La méthode Munter est celle qui a inspiré les autres, elle établit le calcul du risque résiduel. Nous vous recommandons de consulter le site www.anena.org et son dossier consacré aux méthodes d’aide à la décision.
Si la prévention des avalanches sur les routes et en station de ski est l’affaire des professionnels, dès que nous sommes en dehors du domaine skiable, cette prévention devient l’affaire de tous. La plupart des accidents ne sont pas dus à la malchance mais à une série de ratés humains, un non respect des consignes.
Prévenir l’avalanche, c’est aussi savoir faire preuve d’humilité par rapport au milieu naturel, savoir être curieux pour apprendre à connaître la neige et ses métamorphoses tout en étant prudent, un sage qui observe et réfléchit avant d’agir.
En complément de ce reportage, il est intéressant de lire la gestion de la neige et le reportage dédié aux pisteurs secouristes, anges gardiens des pistes.
Texte et photos: E. Beallet