Reportages

Skieurs de légendes...

Emile Allais, Jean Vuarnet, Jean-Claude Killy, Franck Piccard, Edgar Grospiron

Sports-Hiver vous aide à réviser vos classiques avec un focus sur les légendes qui ont révolutionné l’histoire du ski et qui ont pour points communs, outre leur exigence de l’excellence, de ne pas être que des skieurs d’exception...

I/ LA GENERATION DE PIONNIERS : Emile Allais, Jean Vuarnet et Jean-Claude Killy

EMILE ALLAIS : créateur et inspirateur du ski et de tout ce qui tourne autour

En slalom comme dans tout, le regard doit porter loin si l’on veut garder une longueur d’avance... or cette vision, Emile Allais n’a jamais cessé de l’avoir avec ses yeux bleus glaciers. Sans ce visionnaire mégevan, le ski ne serait pas ce qu’il est.

« Emile est un personnage central dans l’univers de la neige, pionnier, créateur, inspirateur, à l’origine de tous les événements fondateurs du développement du ski » résume Gilles Chappaz dans le livre consacré à ce monstre du ski « Allais, la légende d’Emile » et édité par sa fille Karen Allais. Gilles Chappaz est le seul journaliste à qui Emile Allais accorde encore des interviews... À 100 ans (le 25 février 2012), ce précurseur et cet homme d’action qui « a le sport dans le sang » a bien gagné le droit de se reposer un peu dans son chalet à Megève. C’est qu’Emile l’hyperactif n’a pas chômé. Il a même participé aux travaux de construction du téléphérique de l’Aiguille du Midi à Chamonix comme tireurs de câbles en 1940.

Question médailles, ce fut un carton plein : premier français médaillé aux championnats du monde de 1935 (médaille d’argent en descente), premier français médaillé olympique de ski en 1936 à Garmisch (le bronze en combiné, descente + slalom), quatre titres de champion du monde dont trois titres remportés en 1937 à Chamonix qui organise pour la première fois les championnats du monde en France.
Né sous une bonne étoile, Emile a du flair, beaucoup de cogite et en plus il a du style ! En 1930, il teste le premier fuseau, créé avec le tailleur mégevan Armand Allard. Le fuseau est plus adapté au ski technique que le pantalon norvégien. Lors de son sacre en 1937, Emile porte le fameux fuseau Allard, mais aussi un pull marine et un foulard imprimé ; le style Allais est né. Malgré ses titres de gloire, il raccroche de la compétition en 1939 suite à une blessure. Pensez-vous qu’il va disparaître de la scène ski, que nenni, tout reste à faire dans le monde du ski à cette époque...

Fin technicien, il crée la première technique de ski française digne de ce nom : le Christiana, consistant à skier parallèle, devient la méthode officielle adoptée par l’association de l’Ecole Nationale de Ski Français à sa naissance en 1937. Elle garantit une homogénéité de formation des moniteurs et d’enseignement et signe la fin de la mainmise autrichienne ! Émile reçoit officiellement la médaille n°1 de moniteur diplômé en 1937. Il occupe ensuite le poste de Directeur technique à l'ENSA et raccroche après guerre pour aller voir ailleurs : le Chili en l’occurrence et Portillo plus précisément où tout est à créer et où il va animer une école de ski, enseigner et entraîner les Chiliens en 1946. Il pige que son avenir passe par l’aménagement des stations et part conseiller les Québécois pour l’aménagement de la station de Val Cartier.

Parallèlement, il entraîne les skieurs canadiens susceptibles d’aller aux JO de 1948 à St Moritz ! En 1949, direction les Etats-Unis, à Sun Valley où il enseigne sa méthode française du ski. Parmi ses clients, des vedettes d’Hollywood dont Gary Grant et Darryl Zanuk qui skiait toujours cigare au bec ! Il passe aussi beaucoup de temps à observer le travail des pisteurs qui dament les pistes. Sun Valley est un modèle du genre et Emile s’en inspirera pour ses aménagements futurs et la création du métier de pisteur en France. Appelé par un promoteur pour ses conseils d‘aménagement, il passe aussi par Squaw Valley en 1950, un site de Californie perdu au milieu de nulle part mais gavé de neige. Il y revient en 1951 et découvre ahuri que toutes ses consignes ont été suivies à la lettre. Squaw Valley accueillera les J.O. en 1960 et verra la victoire d’un autre français : Jean Vuarnet !

Fatigué d’enchaîner les hivers entre hémisphère Nord et Sud, il rentre en France en 1954 à l’âge de 42 ans. Après avoir couru les stations étrangères, il apporte sa pierre à l’aménagement et l’implantation de stations de ski françaises qui se comptaient encore sur les doigts d’une main... « J’ai très vite compris que le ski est plus touristique que sportif » lit-on dans le livre Allais, la légende d’Emile. Méribel, Courchevel dont il prend la direction en 1954, La Plagne, les Arcs, Vars, Les Ménuires et Flaine ont bénéficié de ses lumières !
Obsédé par la préparation des pistes pour qu'elles soient aussi lisses qu’un green de golf, il est à l’origine du damage mécanique qu’il expérimente à Squaw Valley avant d’importer le premier snowcat des US en 1958 à Courchevel. Il crée dans la foulée le métier de pisteurs pour préparer les pistes de Courchevel, station qui ne comptait que des pisteurs secouristes.

Enfin, l’histoire serait incomplète sans parler des velléités de développeur de ce bricoleur né qui a aussi fait évoluer le matériel. Les skis bien sûr, des Allais 41 en bois, aux Allais 6O en métal ; ces premiers skis Rossignol avec des carres cachées et une semelle en polyéthylène sont en avance sur leur temps et préfigurent le ski d’aujourd’hui. « Ils rendent les Autrichiens envieux » se souvient Emile Allais. Ces Allais 60 trustent les podiums des compétitions internationales une décennie durant et sont sous les pieds de Jean Vuarnet lorsqu’il remporte les J.O. de Squaw Valley ! Emile développera aussi des fixations, une doudoune et des lunettes ! « Montagnard, skieur, pionnier, champion, technicien, bâtisseur, aménageur, visionnaire... Il fut tout cela et fit tant d’autres choses encore... » conclut Gilles Chappaz.

Référence :
« Allais, la légende d’Emile » écrit par Gilles Chappaz publié par les Éditions Ka2 – 220 pages - 24 €
www.emileallais.com

JEAN VUARNET : l’homme qui créa la position de l’œuf et les Portes du Soleil

C’est à Jean Vuarnet que l’on doit la célèbre position de recherche de vitesse, l’aérodynamique « position de l’œuf », technique de référence utilisée depuis plus de 50 ans pour attaquer dans la pente.

Sa trouvaille, le morzinois de 27 ans l’applique le 22 février 1960 lors des J.O. de Squaw Valley qu’il remporte. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance car Jean a fait une faute sur la première partie et accuse un retard sur le temps intermédiaire. Emile Allais placé en bord de piste s’assoit, c’est le signe pour lui faire comprendre son retard. Chaussé de ses skis noirs à semelle bleue les « Allais 60 », les premiers skis métalliques griffés Rossignol, Jean Vuarnet parti pour gagner ne se démonte pas et fait des pointes à 115 km/heure. Au final, il avale les 3200 mètres en deux minutes et six secondes sur une piste parfaitement préparée par les dameuses, des engins qui n’existaient pas encore en France. À cette époque, le ski est encore un sport amateur, les compétiteurs n’ont ni techniciens pour préparer leur matériel, ni préparateurs physiques, tout juste un entraîneur et Jean mène de front études (deux ans de médecine) et compétition.

Pour sa reconversion, il accepte la direction de l’office du tourisme de Morzine et crée Avoriaz, la station futuriste intégrée perchée sur la falaise surplombant Morzine ainsi que le domaine skiable franco-suisse des Portes du Soleil avec ses 650 km de pistes reliées, le plus grand domaine skiable du monde. « Tous les versants des Portes du Soleil sont soit montants soit descendants, on a le choix de faire l’itinéraire dans un sens ou dans l’autre, c’est un net avantage » nous explique Jean Vuarnet et de poursuivre « quand j’ai pris en main le contrat pour faire une station à Avoriaz, je me suis immédiatement préoccupé de la Suisse. Ça n’a pas été chose facile car à l’époque, d’un côté de la frontière comme de l’autre, les remontées mécaniques se faisaient la guerre ! Il y avait fort heureusement quelques jeunes Suisses qui voulaient bouger et le projet de liaison les a tout de suite passionnés car c’était important pour eux de pouvoir profiter du territoire français de ski. Il est en effet bien plus vaste. De plus l’équipement côté France permettait d’aller jusqu’aux Gets, c’était formidable. Moi mon truc, c’était d’aller manger quelque part vers les Crozets en Suisse depuis Avoriaz ! ».

Le prolixe Jean Vuarnet ajoute les anecdotes suivantes : « en 1960, il fallait qu’on équipe les deux versants et que l’on mette tout en commun. Les Suisses étaient très excités par ce projet et ont conçu une magnifique maquette avec toutes les liaisons. Pour l’exposition Internationale de Lausanne, on a monté une association qui préfigurait les Portes du Soleil mais qui n’était que Suisse ». À l’époque, le téléphérique du Pleynet aux Gets, l’un des premiers de France avait une capacité de 18 places et mettait 6 minutes pour monter : « à la sortie de la guerre, ils ont fait un télébenne, il fallait cavaler derrière car il ne s’arrêtait pas, on se caillait les miches ! Il fallait démarrer quelque chose de neuf avec du très ancien. C’était pareil du côté Suisse, ils avaient un vieux téléphérique qui n’avait pas de débit. C’était l’époque où les 3 Vallées démarraient, Flaine se lançait aussi avec un financement solide, il ne fallait pas traîner. C’est pour ça que je me suis très vite jeté sur ce projet corps et âme ; j’avais peur pour Morzine qu’on reste végétatif, car on est au bout du Chablais, au bout de la France et qu’on a souvent été oublié politiquement et économiquement ».

Comme son aîné Emile Allais, Jean Vuarnet est un visionnaire... Un visionnaire qui s’est aussi lancé dans les lunettes de soleil équipées d’un verre spécial pour le ski et qui s’est ensuite diversifié dans les vêtements de ski, une entreprise familiale dirigée aujourd’hui par son fils Alain. Clin d’œil de l’histoire, Vuarnet habille les skieurs de l’Equipe de France. Son nom résonne encore sur la scène des sports d’hiver plus de 50 ans après sa victoire olympique. La statue de bronze de Jean Vuarnet en position de l’œuf trône depuis 2011 sur la place de Morzine, un hommage au combien légitime !

JEAN-CLAUDE KILLY : chercheur de perfection

Skieur et businessman accompli ayant pour devise de « ne jamais regarder en arrière », Jean-Claude Killy est toujours resté fidèle à sa trajectoire au fil du temps et des succès. Besogneux, pugnace et créateur, l’homme est un géant. Le triple champion olympique est l’unique Français resté dans la mémoire collective des Américains plus de 40 ans après ses médailles olympiques, c’est dire !

Arrivé en 1946 à Val d’Isère, le chalet en kit dans la camionnette du papa Robert d’origine alsacienne, Jean-Claude découvre le ski à l’âge de 3 ans sur les pistes de la station de Haute Tarentaise qui deviendront plus tard « l’Espace Killy ». Bientôt « Toutoune » n’a plus que la glisse en tête. Il skie tellement que sa croissance se bloque. Il faudra qu’il se casse la jambe pour pousser de 11cm d’un coup ! Il n’est qu’un adolescent de 16 ans quand il quitte les bancs de l’école en 1959 pour se consacrer au ski, une prise de risque qui en vaudra la peine car il entre à la fédé en tant qu’Espoir Français avant de rejoindre l’Equipe de France en auditeur libre. Il monte sur la première marche des podiums en descente dans la foulée en 1959/1960, mais c’est en 1961 sur ses terres avalines, au Critérium de la Première Neige, qu’il signe sa première grande victoire sous les yeux d’Emile Allais, il a 18 ans. 6 autres victoires suivront en coupe du monde dont 4 en géant dont il s’est fait la spécialité. Il prend le départ de ses premiers J.O. (Innsbruck) à 20 ans en 1964 : une cinquième place en slalom et une disqualification en géant à cause de carres pas assez affûtées. La victoire revient au Français François Bonlieu. Une semaine après les J.O., il remporte sa première Classique et avec elle vient le déclic. Il gagne deux titres de champion du monde à Portillo en 1966 : la descente chaussé de skis Rossignol Strato, le slalom avec des Dynamic VR7.

Même si l’image de Jean-Claude Killy est associée aux skis Dynamic, sa marque de cœur, il est le seul skieur à skier sans contrat d’exclusivité. En 1967, il règne sans partage et truste les podiums : 1er au classement général de la première édition de la coupe du monde avec 12 victoires en 15 courses, sans compter les globes en descente, slalom et géant. Un sacre qui vaut au Roi du ski de devenir le chouchou des média américains qui le surnomment le « King Killy ». Le ski est en plein âge d’or et bien plus médiatique que de nos jours ; « je suis un skieur noir et blanc » s’amuse Killy, les épreuves étant retransmises en noir et blanc à la télé (la télé couleur n’existe pas encore…). L’inventeur du départ façon catapulte entrera définitivement dans la légende en remportant le grand chelem aux J.O. de Grenoble en 1968 chaussé de ses Dynamic VR17 : une triple médaille d’or en géant, slalom et descente, un Killy en couleur devant 500 millions de téléspectateurs avec la première retransmission des JO en couleurs. Il a 24 ans, il a tout prouvé en ski et décide d’arrêter la compétition sans savoir quoi faire après ! C’est une star et les propositions affluent pour sa reconversion, notamment de griffer des produits à son nom, mais bizarrement rien ne vient de l’hexagone. Il fera une incursion remarquée dans le sport automobile en GT et signera des contrats juteux avec les Américains en tant que porte-parole de grandes marques : de Chevrolet à United Airlines…

Des pistes au business
En gagnant son premier million de dollars à 28 ans, Killy glisse donc naturellement des pistes au business. Au début des années soixante-dix, des vêtements Killy sont développés sous licence par le groupe Empain. Le champion aidé d’un associé lance Veleda- Killy en 1976, naîtra ainsi la célèbre chaîne de magasins Go Sport. La première collection de vêtements de ski Killy sort en 1977 et connaît un succès immédiat. Son fameux fuseau à guêtres intégrées et évasées, le « pantaguêtre » vu notamment dans le film Les bronzés font du ski, y est pour beaucoup. Ces fuseaux sont fabriqués en France à Chaumont, une usine qui a débuté avec 70 personnes et qui en emploiera jusqu’à 500. « Malheureusement l’Asie a rapidement été plus forte et l’usine a fermé, c’est la glorieuse incertitude du sport » note Killy. La marque passera de main en main sous licence avant de prendre un nouveau départ en 2008 sous la houlette du groupe Lafuma. La collection hiver 2012/2013 dans laquelle il s’est de nouveau beaucoup impliqué est conçue dans les meilleurs matériaux. Elle revient aux fondamentaux de la marque à savoir skiabilité et protection avec un style intemporel et élégant, deux qualificatifs qui collent parfaitement à ce grand homme qui nous confiait à l’occasion du défilé de cette nouvelle collection « j’ai un regret : ne pas avoir pu racheter la marque Dynamic que j’avais dans le cœur depuis tout petit. J’ai fait une offre en 1975 à Alois Rohrmoser, l’Autrichien ne voulait pas vendre à moins que je pose le double de mon offre sur la table. C’était impossible ! »

Des anneaux en or au CIO : Killy et l’olympisme
En 1981, Jean-Claude Killy endosse une autre responsabilité d’envergure planétaire : l’organisation avec Michel Barnier des JO d’Albertville de 1992 dont on connaît le succès. Il poursuivra son rôle d’organisateur avec Amaury Sport Organisation, l’organisateur du Tour de France et du Paris-Dakar jusqu’en 1999. Parallèlement il ne lâche pas les anneaux olympiques puisqu’il est l’un des 115 membres du Comité International Olympique depuis 1995, a présidé la commission de coordination des Jeux de Turin 2006 et préside aujourd’hui celle des Jeux de Sochi 2014. Il s’est aussi impliqué pour les championnats du monde de ski alpin qu’il organisait en 2009 à Val d’Isère et on l’a aussi vu défendre les chances d’Annecy 2018 avec son poulain Edgar Grospiron, un poulain qui suit ses traces. Quelle belle trajectoire pour ce petit douanier de Val d’Isère qui a toujours gardé sa timidité d’antan et n’a jamais dévié.

« Personne ne m’a dit que la perfection n’existe pas. Heureusement ! cette quête impossible a été mon moteur. La recherche du geste parfait, ma plus belle motivation. Chercheur de perfection est un métier splendide, j’en ai fait ma carrière. Ne pensez pas que ce fut facile. Les difficultés, le doute, la guerre en Algérie, les hôpitaux, les cimetières et cette impression que recevoir un peu de la vie oblige à lui rendre beaucoup » signe-t-il dans l’édito du magazine Alpeo, un numéro collector 100% Killy à se procurer d’urgence.

II/ GENERATION ALBERTVILLE : Franck Piccard et Edgar Grospiron

FRANCK PICCARD : tout en glisse et en discrétion

L’homme multi-médaillé olympique au toucher de neige si félin a la même posture dans la vie que sur les pistes : il évolue avec grâce, discrétion, humilité et efficacité…

Les Saisies sont le fief des Piccard, une fratrie de skieurs et skieuses qui se sont saisis de bien des podiums (elle est facile). Dans cette fratrie, Franck, né en 1965, a ouvert la voie en montant sur le podium de prestigieuses épreuves : champion olympique de super G en 1988 à Calgary, médaillé d’argent aux JO d’Albertville en 1992 sur la redoutable et mythique Face de Bellevarde à Val d’Isère et médaillé de bronze aux Mondiaux de 1991 à Saalbach. « La Face de Bellevarde correspondait à ma façon de skier ; technique avec de la trajectoire et de l’engagement pour prendre des risques ce qui m’a souri » nous confie-t-il et de rajouter ; « j’étais trop concentré et instinctif pour me souvenir de ma descente aux Jeux, mais je me rappelle de l’ambiance géniale autour de la piste et des entraînements ; j’avais bien maîtrisé tous les passages mais pas sur un même parcours, j’ai réussi le jour de la course ! Cette descente est hyper technique avec des déclivités importantes, très peu de temps morts et toute la panoplie du virage déployée sur 3 km ce qui fait son attrait. Il faut avoir à la fois de l’engagement et savoir lever le pied quand il faut notamment au passage de l’Ancolie, goulet entre deux murs rocheux, c’est toute la difficulté. Cette piste, il faut l’aborder avec humilité »

Il raccroche de la compétition en 1996, mais pas du ski puisqu’il teste les skis de Coupe du Monde pour Salomon. Homme de défi, il sera aussi le premier champion consultant pour Eurosport, pas mal pour un « taiseux » ! Il va aussi ouvrir le premier hôtel 3* des Saisies, le « Calgary », hommage à sa médaille olympique. Il reprend les magasins de ski de ses parents, une affaire familiale qu’il a fait fructifier avec 45 salariés sous son aile. Il fut un temps directeur de l’office du tourisme des Saisies, une expérience qui semble ne pas l’avoir comblé. Si vous passez par les Saisies, vous aurez peut-être la chance d’apercevoir sa silhouette toujours athlétique sur les pistes de ski de fond, la spécialité olympique de la station, dont il est devenu addict. Papa d’une tribu de 5 enfants, surveillez bien sa descendance, il y aurait visiblement des gènes !

EDGAR GROSPIRON : des bosses au boss

Le champion olympique et triple champion du monde de bosses ne manque pas de ressort. En effet, le boss des bosses de La Clusaz est passé au boss des boss avant d’être rappelé par le monde olympique pour promouvoir la candidature d’Annecy 2018, soutenu par son mentor Jean-Claude Killy qui verrait bien Gagar comme héritier. Retour sur le parcours bondissant d’Edgar Grospiron, un parcours porté par la détermination et la réussite. 

À l’âge de 5 ans, Edgar avait déjà décidé de son destin : il serait le meilleur skieur du monde. 20 ans plus tard, c’est chose faite et plutôt quatre fois qu’une… 3 titres de champion du monde de ski de bosses, le titre olympique aux JO d’Albertville 1992 à 25 ans et 38 victoires en coupe du monde.
Il faut un sacré culot pour fanfaronner au départ de la finale des JO d’Albertville sur la piste de bosses de Tignes « je vais gagner ». Rien de mieux pour déstabiliser ses adversaires. Outre la technique, il avait déjà tout saisi de la psychologie : une âme de vainqueur qu’il transposera plus tard à l’entreprise…
« Ed » est passé par tous les stades de bosses du monde mais aussi par tous les stades d’esprit en un temps record ! Tête à claque limite insupportable à la section ski artistique du club des sports de la Clusaz à 12 ans, il a ensuite pris (toute la) place dans l’Equipe de France, ses coéquipiers lui reprochant de ne plus avoir d’espace…

Charismatique et showman, pas étonnant qu’il soit devenu le chouchou turbulent et trublion des médias. Grâce à lui le ski de bosses n’était plus pour le grand public la discipline obscure qu’elle était avant les JO d’Albertville. En 1995, il tire sa révérence à 28 ans en s’octroyant son troisième titre de champion du monde de bosses à domicile sur la redoutable piste des Rhodos de la Clusaz, une piste sur laquelle il fit ses gammes avec sa team mate Raphaëlle Monod, autre grande championne de la discipline. Une piste mythique « le plus long et le plus beau mur de bosses du circuit mondial. Très raide, il est radical, c’est le plus physique » qui accueillit 10 coupes du monde de ski de bosses jusqu’en 1996 et le championnat du monde de 1995. Une piste rebaptisée le Mur d’Edgar dès 1996 pour saluer la carrière d’Edgar. On retrouvera un Edgar impressionnant de maîtrise en version freestyler, assurant le show sur le démo tour Salomon, son sponsor et partenaire pour lequel il fera aussi de la prospective au labo de R&D.
Edgar a un talent d’écriture, ce qui n’a pas échappé au magazine Ski Français dont il sera un temps corédacteur en chef. Mais le boss des bosses aime être son propre patron et garder une longueur d’avance : il sera ainsi le premier à se lancer dans l’arène Internet avec le premier site web crossover « Ridearth ». C’était en 2000, autrement dit trop tôt, avant que la bulle n’éclate… Trop visionnaire le Gagar !

Puis, toujours en quête de défi, il a eu envie de transmettre en devenant coach à son tour : coach des boss. Ayant arrêté son cursus scolaire à 16 ans, il reprend des études pour se former au management de la motivation. Devenu expert en management de la performance, il anime des séminaires et donne des conférences devant des parterres de décideurs avec le sérieux et la décontraction qu’on lui connaît : « être sérieux dans ce qu’on fait, sans se prendre au sérieux » telle est la recette d’Ed. Une reconversion cohérente pour un champion : « aller au ski tous les jours, s’investir à fond demande un niveau d’exigence très élevé. Les enjeux de la réussite dans le sport sont très proches des enjeux de la réussite dans l’entreprise. Mon expérience est un capital formidable, c’est pourquoi je souhaite la partager pour qu’elle vive au-delà de mon univers sportif »

Avec 100% de réussite aux championnats du monde, un titre de champion olympique et 80% de podiums dans toute sa carrière sportive, Annecy 2018 avait misé sur le poulain Grospiron pour mener à bien la candidature de la ville aux JO de 2018. Une première étape remportée face à Grenoble, Montgenèvre et Nice, les autres postulants français. Après avoir parcouru le monde pour convaincre de cette candidature, le meneur de jeu a claqué la porte faute de budget 6 mois avant la décision finale de Durban. Bien lui en a pris car son nom ne sera pas associé à un échec cuisant ! Le monde de l’olympisme ne lui a pas tourné le dos pour autant et le destin d’Edgar semble scellé puisqu’il fut chef de mission de la délégation tricolore aux JO d’hiver de la jeunesse d’Innsbruck en janvier dernier avant d’observer cet été les Jeux de Londres. Les portes du CIO s’ouvriront-elles bientôt pour Ed, on est prêt à le parier !

« Il faut y aller, il faut s’engager car ceux qui rêvent le monde le changent ! » dixit Edgar Grospiron

Texte et photos fournis par Sandra Stavo Debauge