Reportages

La fabrication d'un ski

Les hommes fabriquent et font du ski depuis belle lurette. C’est du moins ce qu’attestent une gravure rupestre trouvée en Norvège sur l’île de Rodoy, ainsi que le ski fossile de Hoting sans doute le plus vieux du monde (4500 ans) trouvé en Suède. Des historiens n’hésitent pas à remonter beaucoup plus loin dans le temps et situent la naissance du ski dans l’Altaï entre la Mongolie et la Sibérie. C’est un fait, nous skions depuis très longtemps; mais quel chemin parcouru depuis les longues lattes en frêne à nos remarquables élaborations actuelles !

Rapide coup d'oeil sur les origines

Pendant plusieurs millénaires, le ski n’a été qu’un mode de déplacement, pas question de faire des courbes ou de s’engager dans une pente! Les skis étaient de longues planches de 2.50 mètres sans carre. Vers 1850 Sondre Norheim, menuisier norvégien mit au point une technique pour évoluer dans la pente mais ils n'étaient pas suffisamment manœuvrables. Il créa alors la forme parabolique, en taille de guêpe. Coté technique, le genou amont est fléchi, et lors du transfert de poids c'est le futur genou amont qui sera fléchi. Les skis sont enfin manœuvrables et Sondre baptise cette découverte Telemark du nom de sa province natale. Le succès est bien sur immédiat et gagne toute la Scandinavie.

En 1878, le français Henry Duhamel découvre ce matériel lors de l’Exposition Universelle et le ramène en France. Les skis sont raccourcis pour s’adapter aux Alpes plus raides, la fixation est améliorée. Mais c’est à partir des années 20 que le ski alpin va s’imposer et se séparer du télémark. Le talon devient fixe et le fameux stem Christiana est inventé par Hannes Schneider. Le virage parallèle est mis au point par Emile Allais (cf reportage Pistes mytiques) en 1937 et marque définitivement le divorce avec la technique de Sondre.

La fabrication : du bricolage aux technologies de pointe

Les années passant, fini le bricolage! Les grandes marques investissent sérieusement dans la recherche, et le ski va devenir un objet très technique. Au début des années 60, Rossignol ne fabriquait pratiquement que des skis en bois; mais déjà leurs premiers skis métalliques et en composite (fibre de verre à âme creuse) apparaissaient. Rossignol dominait déjà le marché dans les années 40 avec notamment l'Olympique 41. Ce très beau ski en bois exotique, champion du monde en 1948, est considéré comme le premier vrai ski moderne. Il a été réédité, il y a quelques années, dans une version vintage.

LA FIBRE DE VERRE
Le premier ski stratifié en fibre de verre, le Strato de Rossignol en 1964, va devenir le ski le plus vendu au monde. Avec une âme en bois lamellée-collée et des peaux en composite verre-epoxy, l’assemblage de tous les composants, y compris les carres, s’effectuait en une seule opération complexe de collage-moulage avec une presse. Ce ski, avec sa taille de guêpe, a marqué les skieurs; il donnait l’impression de tourner tout seul et inaugurait un nouveau comportement sur la neige. La fibre était promise à un bel avenir. Mais avec la pléthore de nouveaux matériaux, les marques se heurtaient à des problèmes techniques inédits : le durcissement des colles, leur réaction à la flexion... L’apprentissage se faisait au fil des nouveaux modèles. Fin des années 70, les marques investissent dans la recherche (10 millions de francs chez Dynamic en 1984) et réfléchissent au comportement sur la neige.

FAIRE UN SKI, MODE D'EMPLOI
A la fin des années 80, avec l’engouement pour le snowboard, il était fréquent que d’hardis bricoleurs entreprennent de faire leurs propres planches. Faute de modèles disponibles, le résultat était rarement à leur hauteur des espérances… La mise au point d’un ski réussi est un enchainement de compétences pas toujours faciles à maîtriser. Il faut des plans qui tiennent la route, sachant qu'il n'y a ni formule magique ni de règles absolues. Pour une création totalement nouvelle, il faudra peut-être fabriquer un outillage spécifique, des moules… Les nombreux éléments constitutifs (les carres, les semelles, les noyaux, les fibres, les noses) sont faits en série. Vient ensuite une pré-serie qui sera testée à l’atelier puis « pour de vrai ». Après validation et une fois les designers fixés sur la sérigraphie, la fabrication en série pourra commencer.

Marc Ducourtil, shaper chez Aluflex, explique pour Sports-Hiver les grandes étapes dans la fabrication d’un ski : « D’abord, explique Marc, on pose la semelle, les carres, la fibre inférieure, le noyau bois si le ski en est pourvu fait la longueur du ski, sinon on met de la fibre. (Ce noyau est une planche de frêne, épicéa, pawlaunia…). On mettra par-dessus ce noyau fibre ou bois la fibre supérieure et enfin la protection que l’on appelle une cape transparente, celle-ci est une protection et contient en même temps la sérigraphie. Ensuite tout cela est mis sous presse à chaud (plus ou moins 80°c). On sort enfin le ski qui passe sur un atelier de finition; il est détouré tandis que semelles et carres sont poncées ».

Certaines composantes sont inamovibles, par exemple la relation entre la raideur du ski et le type de virages pour lequel il est destiné. Les paramètres humains et la qualité de la neige sont des variables que la science ne maîtrise pas et qu’aucun ordinateur ne peut mesurer. Il n’empêche qu’entre deux testeurs ayant à peu près le même niveau de pratique, les avis sur le ski testé sont souvent les mêmes ainsi que le ressenti. Tout cela confirme le fait suivant : la lecture des ski tests de Sports-Hiver.com devrait être obligatoire avant d’acheter un ski !

LE COMPORTEMENT SUR LA NEIGE
Bien sur la fabrication du ski et sa batterie de problèmes techniques demandent réflection; mais la grande inconnue, et ce jusqu’aux années 60, c'est le comportement sur la neige. On avait compris que la raideur et le cambre avaient une incidence directe sur le comportement, mais pour les côtes de largeur, c’était encore le grand flou! Et où fallait-il placer le pied sur le ski? Le mettre l’avant de la chaussure au point d’équilibre du ski, comme cela se faisait et qui était une règle définie par les lapons? Cet archaïsme ne pouvait plus fonctionner, on arrivait à des montages absurdes avec des skis de petite taille. En 1973, une norme ISO a défini un point sur le ski correspondant à la projection du point de gravité du skieur. Depuis, le milieu de semelle de la chaussure est placé sur cette marque.

En coulisses chez Dynastar


Pour découvrir l’univers fascinant de la fabrication d’un ski, nous nous sommes rapprochés de l’usine Dynastar, basée à Sallanches. Survivante de la revente du groupe Rossignol, elle a résisté au raz de marée qui a emporté celle de Saint Etienne de Crossey près de Grenoble et celle de Rumilly.

Julien Vigouroux, responsable commercial, court devant nous en expliquant, volubile et manifestement passionné: "Vous avez déjà fait des lasagnes ? Hé bien pour les skis, c’est pareil… Ce n’est pas plus compliqué que ça !", ironise t-il un peu. Nous le suivons entre deux machines, deux ouvriers, deux sas, le temps d’imprimer ce que lasagnes et skis peuvent bien avoir en commun. Il continue : "une couche de pâte, de viande, une couche de béchamel et de fromage. Hé bien ça fait de très bons skis, faut bien chauffer, et ça glisse tout seul !"
"L’usine, poursuit Julien, peut produire 200 000 paires par an et maîtrise la fabrication traditionnelle sandwich et dynapreg. Dynapreg, c’est toujours du sandwich mais ce nouveau procédé permet d’utiliser une plus grande variété de matériaux comme l’acier et la fibre". Mais nous n’en saurons pas plus, chut, secret industriel !
"Quant au ski noyau bois, ajoute encore Julien Vigouroux, il est fabriqué ici à Sallanches, c’est du haut de gamme. On utilisera différentes essences de bois suivant le type de ski. L’assemblage va se faire avec une mousse très légère et très dense, la mousse Rohacel. Et ça donne un sandwich bois et mousse (pour résumer, hein !)".

Dynastar : les chiffres
Plus de 50 millions de paires de skis produites depuis la naissance du groupe
Production totale de skis (Rossignol et Dynastar) : 850 000 paires
Skis traditionnels (noyau bois) haut de gamme pour la piste et skis injectés : 200 000 paires
Skis de grande série, skis free-ride/free-style et skis de fond haut de gamme déclinés des skis utilisés en compétition (fond et biathlon) : 400 000 paires
Autres (sous-traitance) : 250 000 paires
Fixations (alpines, snowboard, ski de fond) : 850 000 paires
Production de chaussures (Rossignol, Lange, Risport) : 600 000 à 650 000 paires

Aluflex : le sur-mesure en aluminium

Impossible lorsque qu’on parle de la fabrication des skis de ne pas parler d’Aluflex, cette ancienne marque française qui ne produit aujourd’hui que des skis haut de gamme faits sur mesure à la main. Nous sommes loin des cadences de l’usine de Sallanches : l’ambiance dans les ateliers Aluflex est plutôt celle d’un univers où la frontière entre l’art et la technologie est très tenue car ce qui frappe au premier coup d’œil, c’est la beauté des ébauches et du ski fini, véritable œuvre d’art. Tous ceux qui furent chasseurs alpins se rappellent, peut-être avec nostalgie, la marque Aluflex qui équipa les troupes alpines pendant des années. La marque créée en 1954 par Charles Dieupart fabriquait les premiers skis métalliques en partie pour les militaires et équipa entre autres Emile Allais à qui nous devons rappelez vous, le virage ski parallèle.

En 1988, Daniel Serre, un artisan producteur de skateboard, ébéniste de métier décide avec Aluflex de fabriquer des snowboards, une nouvelle glisse en plein essor. Au décès de Charles Dieupart, Daniel Serre prend les commandes du navire; mais c’est en 2004, avec le skieur et freerider Denis Rey comme ambassadeur, qu’Aluflex a un nouveau souffle. La marque se positionne toujours sur le haut de gamme avec une fabrication à la main dans l’atelier de Giffre à Marignier. Aluflex développe une gamme importante principalement orientée freeride. Fidèle à l’esprit de la marque, Aluflex continue de développer les constructions en sandwich Titanal et bois : Frêne, Épicéa, Bambou, Paulownia et Bouleau.
Quel est l’avantage de cette construction en sandwich bois aluminium avec renfort fibre ? Une bonne rigidité en torsion grâce au Titanal et également un bon vieillissement. En effet quand la fibre plie, elle subit des microfissures qui vieillissent le ski, ce qui n’arrive pas avec cet alliage aluminium qu’est le Titanal.

Le vrai plus de la marque est de faire du ski quasi sur mesure, du moins dans sa configuration technique. « On adapte la structure, dit Daniel Serre, au poids de la personne en jouant sur l’épaisseur du noyau, les fibres et les renforts. Chaque ski est fait pour une personne en particulier. Les skieurs passionnés qui savent exactement ce qu’ils veulent, peuvent également choisir leurs propres côtes, en réfléchissant avec nous au meilleur compromis possible. Il y a un surcoût bien sur, mais le moule obtenu peut-être réutilisé pour faire d’autres skis ». Daniel, artisan passionné, encourage ses clients à essayer différents skis, ausculte leurs sensations pour concevoir le ski qui leurs conviendrait le mieux. Voila pourquoi ce fabricant nous a autant intéressé ; car son ambition est de concevoir en écoutant le ressenti du skieur. N’est-ce pas là l’art ultime dans la fabrication du ski ?

Skis en bois recouvert de vernis, carres vissées collées, structures en sandwich, noyau bois, matériaux composites, résines époxydiques, la fabrication d’un ski est devenue un vrai challenge technique, le ski étant soumis à des contraintes énormes en terme de pliage mais aussi de froid et d’humidité. Comme nous l’avons vu plus haut, en dépit des connaissances techniques sur la structure et l’expérience acquise au fil des années, aucun créateur n’est à l’abri d’une surprise agréable ou désagréable à l’heure de vérité, c’est à dire quand le ski touchera la neige. Le comportement sur la neige, c’est quelque chose d’immatériel et d’imprévisible, la part de mystère…

Le ski test de Sports-Hiver.com est en ligne. Comme chaque année, Dynastar fait partie des marques testées. Allez lire!

Texte et photos: E. Beallet